Les papillons de Lampedusa de Walid Amri

“Entre 2000 et 2020, plus de 400 000 traverseurs ont mis le cap sur Lampedusa. Parmi eux, plus de 26 000 ne seraient jamais arrivés. Ce livre leur est dédié”.

D’entrée de jeu, tout est dit.

Rendant hommage aux harranga qui sont morts avalés par la mer Méditérranée en voulant atteindre les côtes de l’ile italienne, Walid Amri nous fait monter à bord d’un vieux rafiot qui s’apprête à tenter la traversée. Nous y faisons la connaissance de Assane le professeur, pour qui tout le village s’est cotisé. Nous rencontrons aussi Zina, la petite de dix ans qui veut devenir militaire afin de venger son père mort en sautant sur une mine, sa soeur Zahra et sa mère Qamar. Elles fuient la guerre en Syrie. Amel enceinte d’un enfant à qui elle a promis de retrouver son père, Mourad, parti lui aussi vers l’Europe. El Hab autrefois appelé Roba Vecchia, le vendeur de fripes, qui a passé sa vie à pousser sa charrette de vêtements. Shams Bin Mokhtar, dit Shams, qui adore les livres et qui note tout dans un petit carnet glissé dans un sac de plastique.

Assis à leur côté, les fesses dans l’eau crasseuse mélangée au fioul, nous les écoutons raconter leurs vies et leurs rêves d’Europe. Assis à leur côté, nous sursautons lorsque le moteur du vieux bateau rend l’âme dans un concert de borborygmes douteux. Assis à leur côté, nous sommes projetés dans la mer lorsque l’incendie éclate à bord.

Accrochés aux morceaux de l’épave, nous côtoyons les morts qui flottent, le visage tourné vers le fond de la mer, tutoyant les poissons et scrutant les fonds marins. Nous côtoyons aussi les émigrés qui ont réussi eux, et qui reviennent au pays, le temps des vacances, les yeux pleins d’étoiles et les bras chargés de cadeaux.

Les papillons sont irrépressiblement attirés par la lumière et par le feu mais au final, ils y brûlent leurs ailes et finissent dévorés par les flammes.

Les papillons de Lampedusa est un roman magnifique, tragique, envoûtant, profondément dérangeant, qui nous secoue dans notre petit confort occidental. C’est un roman dont on ne ressort pas indemne, un goût acre qui reste pris au travers de la gorge même plusieurs jours après qu’on en eût terminé la lecture.

Les papillons de Lampedusa, Walid Amri

Lettres du monde Arabe, Éditions de l’Harmattan

Septembre 2023